Le jeudi 23 juin 2011, le vent du changement allait souffler…

Article : Le jeudi 23 juin 2011, le vent du changement allait souffler…
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27 avril 2016

Le jeudi 23 juin 2011, le vent du changement allait souffler…

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Crédit photo: dakar-info.com

J’avais passé la nuit sur le tapis de mon salon, quand soudain j’entendis un coup sec à la fenêtre, suivi de deux autres plus pressants. Je dormais depuis quelques heures seulement et j’avais encore des échos dans la tête. Je peinais à rassembler toutes mes forces, mais les coups à la fenêtre devenaient de plus en plus pesants. Il s’agissait sans doute de mon petit frère Samba, il était ponctuel quand il s’agissait de ce genre de chose là. Il était presque huit heures, le peuple s’était donné rendez-vous devant l’assemblée nationale, pour tenter dans un dernier effort de dissuader le Président Abdoulaye Wade, de faire voter la fameuse loi du « quart bloquant » assortie d’un ticket présidentiel, associant un président et un vice-président lors des futures élections présidentielles. Je me levais comme un automate pour ouvrir la porte, une douche froide et trente minutes plus tard, nous voilà dans un bus, « café touba » à la main en direction de l’assemblée nationale où les députés devaient siéger pour voter la dite loi.

 

 Un pays dont l’économie était à la traine et le chômage piquait du plafond, le tout accentué par les crises et tensions sociales.

Je regardais par la fenêtre du bus, me demandant intérieurement les raisons de tout cet entêtement venant de la part du Président de la république. Il avait fondé le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) en 1974 et on lui devait pourtant la nouvelle constitution de 2001 saluée par tous. Je me souvenais encore du discours poignant de ce fier panafricain devant l’organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture trois ans plus tôt. Il nous avait gratifiés de tant d’ouvrages intellectuels et était lui-même un model de démocratie pour l’Afrique toute entière. Je secouais la tête et la réalité me rattrapait. L’homme en question était accusé par son peuple de tentative de dévolution monarchique. L’opinion publique soupçonnait effectivement monsieur Wade de vouloir transférer le pouvoir à son fils Karim Wade en votant cette loi. Ce dernier souvenez-vous, était déjà: ministre d’état, ministre de la coopération internationale, des transports aériens, des infrastructures et de l’énergie. Nous, Karim on l’appelait affectueusement le ministre du « ciel et de la terre ». Je voyais au delà de tout préjugé, un Sénégal dont l’éducation fleuron et fierté nationale était déstructurée. Un pays dont l’économie était à la traine et le chômage piquait du plafond, le tout accentué par les crises et tensions sociales. L’électricité était devenue un luxe et pour couronner le tout, le Président Wade, semblait ne plus être au courant des événements, car ses discours étaient toujours en déphasage avec les réalités quotidiennes des sénégalais. Le divorce était alors définitivement effectif, entre le « gorgui » national et son peuple qui l’avait pourtant tant soutenu et adulé.

 

Leur venue, scella le début d’un grand affrontement en milieu urbain entre les forces de l’ordre et les gens venus nombreux.

Je secouais encore la tête et cette fois, on était déjà dans les alentours de l’assemblée nationale. Je sortais mon Smartphone pour prendre des vidéos de l’événement, que je comptais diffuser sur internet. La police à quelques mètres de là, faisait un excellent travail d’encadrement et avait pris le soin de mettre des barrières pour réglementer le déplacement des foules. L’un des premiers députés à se rendre sur place était maitre El hadj Diouf : autoproclamé « député du peuple », il ne se privait jamais d’un bain de foule, il s’avait vraiment comment s’y prendre et après un discours enflammé, il entra finalement dans l’enceinte de l’assemblée nationale, acclamé par la foule. Farba Senghor ancien ministre et membre du PDS, s’étant pris au même jeu de bain de foule, s’est vu agressé par le public. Ce fut par la suite la venue des étudiants, cartes d’étudiant en l’air, ils avançaient bruyamment en entonnant un chant. Leur venue, scella le début d’un grand affrontement en milieu urbain entre les forces de l’ordre et les gens venus nombreux. Les barricades se rompirent, forçant la police à balancer des gaz lacrymogènes. Les gens se dispersèrent, pour ensuite revenir en force, lancer des pierres sur les forces de l’ordre surprises et en manque d’effectifs. Dans ce désordre, je m’arrêtais un instant, pour observer ces groupes d’étudiants. Ils étaient bien organisés, roulant barils et autres troncs d’arbres, pour empêcher le passage des « dragons » : ces sortes de camions de police chargés d’eau sous pression. Ils avaient vraiment l’expérience de ce genre d’affrontement et je me demandais, d’où leur venait cette ingéniosité. Surement de l’Université Cheikh Anta Diop où ils avaient animés de nombreux « fronts », pour enfin obtenir leurs bourses scolaires. Je les regardais faire alors que les gaz fumigènes montaient de partout. Quelques minutes plus tard et des centaines de cailloux lancés tout azimut, la police nous invita tous à revenir à de meilleurs sentiments et à reprendre notre position de départ.

 

La peur venait de changer de camp…

De nouveau devant l’assemblée nationale, je retrouvais Samba et je tenais maintenant les barreaux de la porte principale. On pouvait aisément voir notre père Sidy Sall, député à l’assemblée nationale se tenant avec ses pairs devant le hall à quelques dizaines de mètres de nous. Il était facile à repérer, vue sa grande taille. Je me souviens qu’il nous avait formellement défendu la veille de participer à toute manifestation à travers la ville, car il y avait beaucoup de risques disait-il. Il était lui-même un inconditionnel du PDS et un « wadiste » confirmé pour avoir été incarcéré du temps du Parti Socialiste (PS) pour ses convictions libérales. On n’aurait jamais su quoi lui dire, s’il nous avez vus là, prendre part active à tout cela et manifestant contre le régime. Mais il s’agissait d’un choix responsable propre à chaque citoyen et comme beaucoup de jeunes en ce temps là, il était inadmissible pour nous, de laisser faire les choses. Je tenais les barreaux fermement, quand un policier qui se tenait juste devant moi me demanda de reculer. Je ne l’écoutais plus, tellement je devenais de plus en plus déterminé. Écarte-toi, ou je te frappe ! Me fais t-il savoir. Je le regardais un instant avant de lui dire dans un sourire noir: Vas-y !

 

La peur venait de changer de camp et l’agent de police dut se résigner à me laisser là, user de mes droits les plus fondamentaux, se rassurant lui-même du fait que les gendarmes occupaient l’intérieur de l’assemblée nationale. Je regardais derrière moi un instant. C’était à ce moment, que je remarquais le candidat Macky Sall immobile regardant le ciel, je me questionnais dans mon fort intérieur, si la destinée de ce pays reposerait finalement sur lui. Macky Sall, l’ancien premier ministre et ancien président de l’assemblée nationale, dans son djellaba, restait de marbre regardant le haut de l’assemblée nationale sans bouger dans un calme déconcertant. Toute la classe politique ainsi que toute la société civile se tenait là également, scandant des slogans hostiles au projet de loi et au Président Wade. On occupait les lieux depuis quelques heures, que le désordre s’instituât de nouveau. Cette fois ci, c’était une dame qui essayait de persuader les jeunes de rentrer chez eux, leur expliquant qu’ ils étaient manipulés par la classe politique et que le Président Wade était le seul choix pour le Sénégal. La foule voulu la lyncher, elle ne dut son salut qu’à un groupe de jeunes modérés qui s’interposa pour l’extirper de là. L’ayant mise en lieu sûr, nous revînmes sur la place du rassemblement. Je constatais alors le vol de mon Smartphone acheté à crédit et cela me fit sourire. Un de mes contacts me souffla à l’oreille que le projet sera finalement retiré face à la pression populaire. Le combat était donc gagné en partie. Nous quittâmes la manifestation avec la délégation du conseil régional, rejoignant ainsi le cortège de Serigne Mansour Sy Djamil, marabout politicien d’une grande intégrité intellectuelle. Alors qu’on quittait la manifestation en passant devant le ministère de l’intérieur, on nous réserva un accueil peu chaleureux. Le temps de comprendre l’origine du projectile qui venait de se briser devant moi avant de partir en fumée, les éléments de la police nationale nous avaient déjà encerclés, Samba et moi devions notre salut à notre grande vitesse, qui nous mena en quelques foulées devant l’ambassade américaine où se trouvait déjà Cheikh Tidiane Gadio l’ex ministre des affaires étrangères sous Wade, surpris lui aussi de ce qui venait de se produire. De là, on assistait impuissant à une scène insoutenable : la police nationale, matraquant le marabout politicien et son groupe, ses « talibés » (fideles) se jetant sur lui pour encaisser une partie des coups qui pleuvaient sans rétention.

 

La désillusion n’a pas tardé à s’inviter, au point que certains sont même nostalgiques de l’époque où le Président Wade dirigeait le pays.

À la croisée des chemins antiques, tout étranger qui voyage est tenu de s’arrêter un instant, ne pouvant se fier qu’à cette statue de pierre pointant du doigt vers un chemin inconnu, quelle n’a elle même jamais empruntée. Cette statue ce fut l’actuel Président du Sénégal Macky Sall, élu au sortir du second tour, le soir du 25 mars 2012. La jeunesse sénégalaise avait fait le pari de le suivre du doigt. Après tant de brimades, de blessés et malheureusement trop de morts. Toutes les composantes de la société sénégalaise avaient comme un seul Homme fait comprendre au Président Wade, que la constitution ne pouvait jamais plus faire l’objet de modification pour servir les intérêts d’un groupe d’individus aussi illustres fussent-ils.

 

Plus de quatre années se sont passées depuis ce matin qui a conduit à une alternance au Sénégal et aujourd’hui, nous sommes toujours dans l’impasse. La désillusion n’a pas tardé à s’inviter, au point que certains sont même nostalgiques de l’époque où le Président Wade dirigeait le pays. Aujourd’hui encore plus qu’hier, l’économie suffoque, l’éducation nationale et l’enseignement supérieur semblent former des chômeurs contraints à l’immigration clandestine ou à se résigner tout simplement. Ma lutte continue donc, mais depuis ce matin pas comme les autres, je me dis que tant qu’il y aura des combats à mener par les Hommes, je rendrai tous les matins du monde semblables à celui là.

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Commentaires

Odilon Doundembi
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J'avais également vécu cela, étant à Dakar à cette époque.
Félicitations et bon début!

Boumzinah
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Bonjour Odilon,

1000 mercis pour tes encouragements. Oui, je me souviens de plusieurs manifestations à Dakar au cours de cette même période pour montrer son désaccord. Le changement, c’est possible…

@boumzinah

Odilon Doundembi
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Bonjour mon frère,
Le peuple sénégalais était, heureusement, conscient et vigilant sinon on allait assister au pire.
On est ensemble!